jeudi 28 mai 2009

Iris

Le père de ma meilleure amie avait eu la lubie de dôter la vieille ferme - une belle ruine achetée à un paysan de Lussas pour une bouchée de pain - d'un toit végétal. Nous y étions allongés, contre l'avis paternel, et partagions la dernière cigarette de mon paquet de Camels.
_ J'me rappelle jamais, commençai-je en transformant le paquet vide en flocons artificiels, c'est quelle étoile qui indique le Nord?
_ Sais pas.
Le bout de la cigarette rougeoya dans le bleu de la nuit.
_ Je dirais que c'est celle-là, là-bas, reprit-elle.
_ La petite bleue?
_ Oui, pourquoi pas?
Elle me repassa la cigarette. Presque finie.
_ Tu vois les lumières, là-bas? C'est Aubenas, à l'Est. Derrière nous, il y a ton village. Alors le Nord, ça se trouve quelque part entre les deux... A notre droite ou à notre gauche...
Les dernières cendres, encore chaudes, s'envolèrent dans la nuit. J'éteignis le mégot avec mon talon. Un vent léger et froid s'était levé, portant à nos oreilles les bruits de la forêt toute proche. Est-ce qu'on passait une super soirée, ou est-ce qu'on s'ennuyait à mourir? En fait, je n'en savais rien. J'étais comme anesthésié, et je n'avais même pas envie de me poser la question. Juste sentir le vent frais sur mes joues, et sur mes pieds (oui, on avait enlevé nos chaussures avant de grimper sur le toit végétal, pour être plus proches du ciel et de l'herbe en même temps), cela me suffisait largement. Je fermai les yeux et m'étirai, à la lueur de la pleine lune.
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Le ciel prenait une couleur rosée un peu partout autour de nous. Disparus, les coassements des grenouilles, les chants des grillons, le bruit des branchettes foulées au sol par les lièvres, ou celui de la terre lentement retournée par les taupes. C'était un tout nouveau monde qui s'éveillait, un monde entre le rose et l'or, avec une bande-son faite de pépiements de moineaux affamés, de battements d'ailes d'hirondelles, et du hululement d'une chouette qui avait oublié de se réveiller cette nuit.
Le toit était humide, mais il nous avait tout de même permis de ne pas avoir trop froid pendant la nuit. Je m'étais endormi sans m'en rendre compte, et Morgane avait dû décider de dormir là aussi. Dans quelques instants, le soleil se lèverait. Je passai mon bras gauche sous ma tête pour pouvoir me redresser sans réveiller ma camarade dormeuse aux étoiles. Mes yeux étaient partagés entre le spectacle d'une nouvelle aube, et celui du repos d'une personnalité si active le reste du temps. Les deux étaient tout aussi incroyables, finalement, étrangers à mes représentations habituelles du monde. J'entrais dans une nouvelle dimension, un peu comme si on m'avait offert une nouvelle paire d'yeux pour un court instant, pour que je découvre que le monde était si multiple, si différent à chaque fois et pour chacun d'entre nous, que ça valait vraiment le coup de vivre chaque minute qui nous était donnée à fond. Parce que, finalement, c'était plus intéressant qu'un roman, ou qu'un film de n'importe quel genre, justement parce que c'était toujours imprévisible, réinterprétable à souhait, surprenant... Six milliards de mondes différents sur un bout de caillou flottant dans l'espace, tous contenus dans douze milliards de globes oculaires naissant et mourant... Douze milliards d'iris entourant la planète bleue et lui procurant leurs couleurs.
Morgane dormait encore paisiblement sur mon épaule droite. Le soleil apparut à l'horizon et vint concentrer ses rayons dorés dans mes pupilles. Je levai le menton et ajoutai un fond bleu ciel au fond de mes yeux.

Hallucinations langagières

Des petites phrases qui volent de ci de là, qui surgissent sans prévenir et qui s'en vont...
"Mais ne vois-tu pas l'âme en l'amant lamenter sa perte?"
"De toute façon, la loutre, elle dit que des conneries."
"Que ce message serve de pont pour franchir le gouffre dans lequel je suis tombé."
"Les rapports de mes informateurs font état d'un sanglier qui se dirige vers la montagne."
Allez comprendre...

mercredi 27 mai 2009

Optimisme

En japonais, "ashita" (demain) est formé à partir des mots "akarui" (clair, radieux) et "nichi" (jour, soleil): demain, c'est "le soleil radieux".

Le mois prochain, c'est rai getsu: "la prochaine lune".
Dimanche, nichiyôbi: "le jour du soleil".
Lundi, getsuyôbi: "le jour de la lune".
Mardi, kayôbi: "le jour du feu".
Mercredi, suiyôbi: "le jour de l'eau".
Jeudi, mokuyôbi: "le jour de l'arbre".
Vendredi, kinyôbi: "le jour de l'or".
Samedi, doyôbi: "le jour de la terre".

dimanche 24 mai 2009

Ciel océan



J'ai connu quelqu'un qui avait un oeil bleu et un oeil vert, il y a quelques années. Au Moyen-Âge, c'était un signe de beauté exceptionnelle, et pour le coup je crois qu'on était encore au Moyen-Âge... Mais ce n'est pas de cette personne-là que je voulais parler: c'était plutôt de celle-ci, au coin du jardin, qui profitait de la brise pour se bercer dans son hamac.


Moi, je sortais de la cuisine avec mon verre de grenadine, je rapportais à l'extérieur un peu de fraîcheur, un trésor glacé entre mes paumes et sur mes lèvres. J'ai pris une chaise, une de ces chaises en plastique, blanches, qui noircissent avec le - mauvais - temps, et je me suis assis à un coin de la table ovale. J'aurais dû prendre une paille... Tant pis. Je renversai la tête en arrière et je fermai les yeux.


Sur le fond de mes paupières fermées, je regardais des dessins se former, des mots s'écrire à l'encre orange, rouge vif et parfois violette. Est-ce que quelqu'un s'est déjà demandé d'où venaient ces tâches éphémères qu'on voit à chaque fois qu'on ferme les yeux? Même dans le noir le plus complet, je vois des choses les yeux fermés. Comment se fait-il que certaines images collent plus à la rétine que d'autres? Là, j'essaie: il y a des symboles hiragana, katakana et kanji, je crois qu'il y a aussi mon nom en lettres gothiques qui vient de filer vers la droite, et une pleine lune à moitié cachée par un voile de nuages plus rouge qu'elle.


Les yeux fermés, on entend mieux, on sent mieux, aussi. Cet après-midi là, assis sur ma chaise de jardin, je sentais l'air de l'été, chargé d'ultra-violets, de vols de coccinelles et de chants de grillons... Je ne veux pas faire de clichés, mais faut bien que je dise la vérité, et la vérité c'était un cliché à ce moment-là. Puis j'ai entendu un bruissement, et j'ai rouvert les yeux. Le monde avait attrapé la schtroumpfitte, tout était bleu, de la terre au ciel. J'ai attendu un instant que le vert de l'herbe revienne, et j'ai regardé autour de moi.


Le bruissement venait d'un coin du jardin où le vert et le bleu se mêlaient pour créer un peu d'ombre sous les acacias. Un hamac était tendu entre deux arbres, et son occupant profitait de l'abri des petites feuilles ovales pour dormir paisiblement. Son pied, orné d'une sandale à la romaine, pendait nonchalamment et effleurait les brins d'herbe en-dessous. J'avais pourtant cru être seul... Je bus un peu de grenadine. Le verre était déjà moins frais, mais le soleil faisait briller son contenu: plaisir du toucher échangé contre plaisir de la vue.


Je reposai le verre et reposai mes yeux sur le hamac. Un bras droit, déjà bronzé, en dépassait, avec un bout de chemise bleue à carreaux au niveau de l'épaule. Et au-dessus, un visage tout aussi bronzé, les paupières closes. Une impression de sérénité se dégageait du dormeur. Tout allait bien, et je me mis à imaginer que son hamac était une barque voguant sur un océan aux eaux calmes et turquoises. Sauf que ce n'était pas de l'eau qui faisait tanguer le hamac à ce moment précis, c'était de l'air (oui, ce même air d'été dont je parlais tout à l'heure). De gauche à droite puis de droite à gauche et de gauche à droite, la brise berçait le dormeur, et en profitait pour jouer avec ses cheveux dorés (là encore, mon intention n'est pas de faire cliché, mais entre châtain et blond, ça fait doré).


L'ombre d'un oiseau rapporta mon attention à ma table blanche et à mon verre. Elle avait disparu, la fraîcheur de tout à l'heure: mon trésor de glace participait à présent à la fournaise extérieure, en projetant ses reflets rouges sur la table. Je décidai de me lever pour chercher une casquette. La chaise racla au sol, et ce petit bruit suffit à réveiller le dormeur du hamac. Il s'étira, puis laissa ses bras retomber sur sa chemise ouverte, et ouvrit les yeux. Il devait sans doute redécouvrir le monde avec des couleurs plus vives, plus étincelantes, après avoir passé tout ce temps à l'ombre. Son regard avait quelque chose de captivant, pendant qu'il essayait de concilier rêve et réalité. Il avait un oeil bleu, et un autre vert, mais dans les deux le même éclat. Un peu comme si un oeil, pendant la traversée de l'océan dans son hamac, avait pris la couleur de l'eau, et l'autre celle de l'air. Un peu comme un regard de marin, entre pacifique et céleste, toujours à la recherche d'un nouvel horizon.


Il passa la main dans ses cheveux, ramena ses coudes dans le hamac, se redressa et posa ses deux pieds à terre. Il jeta une jambe par-dessus son embarcation de sommeil pour s'en libérer. J'étais encore debout avec mon verre à la main lorsque je le vis s'accroupir sous les acacias, tout près du hamac. Un chercheur de trèfles à quatre feuilles? Un sourire illumina brièvement son visage serein: il avait trouvé! Alors, lentement, il se redressa, déplia sa canne blanche et se dirigea vers la cuisine.

jeudi 14 mai 2009

Cathode Narcissus

"C'est une poupée qui fait non, non, non, non
Toute la journée elle fait non, non, non, non
Elle est, elle est tell'ment jolie
Que j'en rêve la nuit
C'est une poupée qui fait non, non, non, non
Toute la journée elle fait non, non, non, non
Personne ne lui a jamais appris
Qu'on pouvait dire oui
Sans même écouter elle fait non, non, non, non
Sans me regarder elle fait non, non, non, non
Pourtant je donnerais ma vie
Pour qu'elle dise oui
Pourtant je donnerais ma vie
Pour qu'elle dise oui
Mais c'est une poupée qui fait non, non, non, non
Toute la journée elle fait non, non, non, non
Personne ne lui a jamais appris
Qu'on pouvait dire oui
Oh, non, non, non, non
non, non, non, non
Ell' fait non, non, non, non."
Dans son dos, une paire de piles électriques. Pas du genre à polluer l'atmosphère, non, des piles à l'énergie naturelle, des Duracell, qui la faisaient bouger dans tous les sens pendant que les autres poupées restaient immobiles. J'aurais préféré parler d'une poupée de chiffon, unique, faite main, mais les poupées de chiffon, c'est mou et ça fait rien, ça pose, ça pense peut-être, mais allez savoir quoi...
Cette poupée électrique, elle était pas comme ça, elle était active. La première fois que je l'ai vue, c'était par écran interposé: dans la télé comme dans une boîte transparente, elle chantait une chanson dont j'ai oublié les paroles. Je me souviens juste avoir vu ses piles dans son dos, scotchées comme si elle venait juste de se blesser, et comme si elle s'en foutait. Un peu comme un ange déchu dont on aurait recollé les ailes.
Intrigué, je fis mon papillon de nuit, je m'approchai de l'écran lumineux de la boîte à images, et je regardai sa tête osciller au rythme de la musique et des applaudissements. Droite et gauche, et droite et gauche, et droite et gauche. Mes yeux suivirent le mouvement, le monde n'était plus qu'un océan de lumières floutées, et je tanguais dessus dans une embarcation invisible.
Au loin, un rivage de musique se dessinait. Je sifflai quelques notes, et entendis une voix mélodieuse me répondre. L'île était habitée, et la lumière m'y porta très vite. Je mis le pied sur une plage de "si", et je cherchai la voix qui m'avait répondu. Sirène, reine des "si", y es-tu? Personne sur la plage, je m'aventurai dans la forêt de "la", puis dans une plaine de "sol". Quelque chose me disait que je serais seul tant que je n'entendrai qu'un seul son de cloche, alors je décidai de grimper vers le plus haut point de l'île sonore pour voir si tout ce paysage était symphonie ou cacophonie.
Et là, vous n'allez pas me croire, mais elle était là, au sommet du sommet de l'île. La poupée de tout à l'heure. Comme si ces piles lui servaient véritablement d'ailes. Un truc de fou. Et moi, j'étais encore tout essoufflé d'avoir gravi la pente.
"Bonjour", haletai-je avec un signe de la main et une esquisse de sourire.
Elle me répondit d'un haussement d'épaule en esquissant un soupir. Ses yeux balayaient l'océan de lumière et l'île de son, elle devenait la source haut perchée de tous les horizons, et elle surveillait son petit monde. C'était son rôle, celui qu'elle s'était elle-même choisi. Gardienne et régisseuse, maîtresse absolue, la poupée n'était plus un jouet ici. C'était elle qui décidait, elle qui inventait... Elle l'avait appris très tôt: maîtrise = liberté, mais pour qu'il y ait maîtrise totale il faut éliminer les influences extérieures. Non. Non. Non. Non. Comme des coups de marteaux qui façonnent la liberté absolue, celle qui n'est qu'à soi, celle qui ne doit rien à personne, la rose qui s'est coupée des mauvaises herbes autour d'elle et qui a affûté ses épines. La rose qui s'est éprise de ses épines, qui parfois étend ses pétales pour attirer l'oeil du monde et voir si elle peut encore le transpercer. La rose toute-puissante. La poupée qui fait "non".
Je restai près d'une heure à la regarder, en me demandant comment percer sa cloche de cristal, son indifférence totale à mes mots. Elle ne disait pas non, elle faisait non de tout son être. Seuls ses yeux bleus et ses piles semblaient être faits d'autre chose que de marbre. Mais ses yeux étaient déjà occupés à façonner son univers, et ses piles l'emplissaient de plus en plus de leur battement bourdonnant. L'île se mit à trembler, les bras de la poupée s'élevèrent, un sourire vint écarter ses lèvres et, alors qu'elle tombait en avant et que des flammes surgissaient de son dos (des ailes de feu pour voler plus vite vers la terre), je cru l'entendre murmurer "oui". Oui, elle avait été maîtresse de son monde jusqu'au bout, et ses piles ne s'étaient enflammées qu'à la fin. Le sommet de l'île explosa et me propulsa aux quatre horizons de ce monde de poupée si grand et si petit, si tout et si rien.
Quelques heures plus tard, je me réveillai et mes yeux se posèrent sur une surface de neige suspendue au ciel. Ou était-ce le plafond?
"Monsieur, monsieur, vous avez fait une crise d'épilepsie. Les secours sont arrivés à temps, mais la crise a surpris votre coeur et vous avez fait une attaque. Nous avons dû faire face à des complications inattendues, et nous avons cru vous perdre. Monsieur, votre coeur fonctionne, mais seulement parce que nous lui avons greffé une pile, qui lui envoie des décharges régulièrement, 24 heures sur 24. Monsieur, est-ce que vous m'entendez? Est-ce que vous comprenez ce que je dis?"
"Oui".

samedi 9 mai 2009

Avenir

Je n'ai pas laissé tomber le blog, j'ai juste moins le temps (et moins l'envie, aussi) d'écrire dessus, mais j'ai des citations de côté, des projets plein la tête. Donc ça viendra un jour. KIWIBLOG IS NOT DEAD!