dimanche 24 mai 2009

Ciel océan



J'ai connu quelqu'un qui avait un oeil bleu et un oeil vert, il y a quelques années. Au Moyen-Âge, c'était un signe de beauté exceptionnelle, et pour le coup je crois qu'on était encore au Moyen-Âge... Mais ce n'est pas de cette personne-là que je voulais parler: c'était plutôt de celle-ci, au coin du jardin, qui profitait de la brise pour se bercer dans son hamac.


Moi, je sortais de la cuisine avec mon verre de grenadine, je rapportais à l'extérieur un peu de fraîcheur, un trésor glacé entre mes paumes et sur mes lèvres. J'ai pris une chaise, une de ces chaises en plastique, blanches, qui noircissent avec le - mauvais - temps, et je me suis assis à un coin de la table ovale. J'aurais dû prendre une paille... Tant pis. Je renversai la tête en arrière et je fermai les yeux.


Sur le fond de mes paupières fermées, je regardais des dessins se former, des mots s'écrire à l'encre orange, rouge vif et parfois violette. Est-ce que quelqu'un s'est déjà demandé d'où venaient ces tâches éphémères qu'on voit à chaque fois qu'on ferme les yeux? Même dans le noir le plus complet, je vois des choses les yeux fermés. Comment se fait-il que certaines images collent plus à la rétine que d'autres? Là, j'essaie: il y a des symboles hiragana, katakana et kanji, je crois qu'il y a aussi mon nom en lettres gothiques qui vient de filer vers la droite, et une pleine lune à moitié cachée par un voile de nuages plus rouge qu'elle.


Les yeux fermés, on entend mieux, on sent mieux, aussi. Cet après-midi là, assis sur ma chaise de jardin, je sentais l'air de l'été, chargé d'ultra-violets, de vols de coccinelles et de chants de grillons... Je ne veux pas faire de clichés, mais faut bien que je dise la vérité, et la vérité c'était un cliché à ce moment-là. Puis j'ai entendu un bruissement, et j'ai rouvert les yeux. Le monde avait attrapé la schtroumpfitte, tout était bleu, de la terre au ciel. J'ai attendu un instant que le vert de l'herbe revienne, et j'ai regardé autour de moi.


Le bruissement venait d'un coin du jardin où le vert et le bleu se mêlaient pour créer un peu d'ombre sous les acacias. Un hamac était tendu entre deux arbres, et son occupant profitait de l'abri des petites feuilles ovales pour dormir paisiblement. Son pied, orné d'une sandale à la romaine, pendait nonchalamment et effleurait les brins d'herbe en-dessous. J'avais pourtant cru être seul... Je bus un peu de grenadine. Le verre était déjà moins frais, mais le soleil faisait briller son contenu: plaisir du toucher échangé contre plaisir de la vue.


Je reposai le verre et reposai mes yeux sur le hamac. Un bras droit, déjà bronzé, en dépassait, avec un bout de chemise bleue à carreaux au niveau de l'épaule. Et au-dessus, un visage tout aussi bronzé, les paupières closes. Une impression de sérénité se dégageait du dormeur. Tout allait bien, et je me mis à imaginer que son hamac était une barque voguant sur un océan aux eaux calmes et turquoises. Sauf que ce n'était pas de l'eau qui faisait tanguer le hamac à ce moment précis, c'était de l'air (oui, ce même air d'été dont je parlais tout à l'heure). De gauche à droite puis de droite à gauche et de gauche à droite, la brise berçait le dormeur, et en profitait pour jouer avec ses cheveux dorés (là encore, mon intention n'est pas de faire cliché, mais entre châtain et blond, ça fait doré).


L'ombre d'un oiseau rapporta mon attention à ma table blanche et à mon verre. Elle avait disparu, la fraîcheur de tout à l'heure: mon trésor de glace participait à présent à la fournaise extérieure, en projetant ses reflets rouges sur la table. Je décidai de me lever pour chercher une casquette. La chaise racla au sol, et ce petit bruit suffit à réveiller le dormeur du hamac. Il s'étira, puis laissa ses bras retomber sur sa chemise ouverte, et ouvrit les yeux. Il devait sans doute redécouvrir le monde avec des couleurs plus vives, plus étincelantes, après avoir passé tout ce temps à l'ombre. Son regard avait quelque chose de captivant, pendant qu'il essayait de concilier rêve et réalité. Il avait un oeil bleu, et un autre vert, mais dans les deux le même éclat. Un peu comme si un oeil, pendant la traversée de l'océan dans son hamac, avait pris la couleur de l'eau, et l'autre celle de l'air. Un peu comme un regard de marin, entre pacifique et céleste, toujours à la recherche d'un nouvel horizon.


Il passa la main dans ses cheveux, ramena ses coudes dans le hamac, se redressa et posa ses deux pieds à terre. Il jeta une jambe par-dessus son embarcation de sommeil pour s'en libérer. J'étais encore debout avec mon verre à la main lorsque je le vis s'accroupir sous les acacias, tout près du hamac. Un chercheur de trèfles à quatre feuilles? Un sourire illumina brièvement son visage serein: il avait trouvé! Alors, lentement, il se redressa, déplia sa canne blanche et se dirigea vers la cuisine.

9 commentaires:

  1. Ca me rappelle "Coeur océan", la série débile censée pimenter notre été sur KD2A quand on avait 13-14 ans... Un fait exprès ?

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  2. Pas du tout, je devais pas être devant ma télé cet été-là ! ;-)

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  3. Magnifique jeu sur les couleurs : la lumière qui traverse l'eau rose, l'herbe, le ciel, les signes que tracent le soleil sur nos paupières fermées, les cheveux d'or, le blanc des acacias.
    Et puis super lien avec la FFF via les trêfles à quatre feuilles ! T'es un peu plus tranquille niveau boulot, en ce moment ? Tu te débrouilles tout seul pour la suite ou j'm'éclate encore à te trouver un sujet relou ?

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  4. "Trace", pas "tracent"... "Superbe", pas "super"... J'ai honte...

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  5. "le FFF" ;-).
    Envoie les sujets, ça me fait un prétexte pour prendre des pauses, et jsuis curieux de voir ce que tu pourras trouver pour le prochain ;-). Biz!

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  6. PS: j'étais sérieux quand je disais que tu pouvais raconter tes partiels si tu voulais.

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  7. Bon, cette fois je te donne les premières lignes du texte que tu vas devoir nous soumettre. Au faisait souvent ça, au collège, avec une certaine Lucile...

    "Le père de ma meilleure amie avait eu la lubie de dôter la vieille ferme - une belle ruine achetée à un paysan de Lussas pour une bouchée de pain - d'un toit végétal. Nous y étions allongés, contre l'avis paternel, et partagions la dernière cigarette de mon paquet de Camels."

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  8. Il fallait lire, "on (et non pas "au") faisait ça"

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