jeudi 15 octobre 2009

Vaine archive

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?
C’est vrai. Pourquoi ne pas écrire directement ce que l’on a à dire, le message que l’on veut faire passer, le fait que l’on veut rapporter ? Pourquoi faire appel au lyrique, à la rhétorique, et à d’autres trucs en –ique ? Pourquoi des centaines d’auteurs ont-ils préféré entourer leurs vérités d’un voile d’illusion et de mystère ? Petite enquête non-exclusive.
Suspect n°1
Mademoiselle Beauté, vous êtes priée de vous rendre en salle d’interrogatoire. Nous vous soupçonnons d’être l’aspiration de tout texte travaillé. Le témoin Platon a rapporté que, par votre nature, tout être aspire à se rapprocher de vous. Qu’avez-vous à répondre à cela ? « Je n’ai rien à dire, répond la beauté, si ce n’est que je ne suis pas responsable de ma nature. Et puis, je vous avouerai que je ne pense pas que tous ces auteurs désirent se rapprocher de moi pour ce que je suis… Presque tous, ils ont un autre but au-delà de moi-même. » Mais vous pleurez ! Vite, quelqu’un pour s’occuper de Mlle Beauté s’il-vous-plaît !
Joue-t-elle la comédie ? Je ne crois pas, non, elle a l’air si sincère… Serais-je sous son charme ? Son charme ! Mais bien sûr, c’est pour s’emparer du charme de la beauté et s’en parer que tout le monde recherche ses faveurs… Mais à quoi peut bien servir ce charme ?
Suspect n°2
Attrapez-là, elle ne doit pas s’échapper ! Vous êtes cernée, Censure, sortez de votre cachette, les mains en l’air ! « Vous vous trompez, je ne suis pas censure, elle a disparu il y a des années ! Je suis sa cousine, Suggestion-de-non-publication-pour-un-maximum-de-profit. » Waouh, ça c’est du nom composé… Ben sortez quand même, j’aurais quelques questions à vous poser ! Ah, la voilà. Savez-vous que votre cousine est soupçonnée de pousser tous les auteurs de littérature à recourir au charme de la beauté ? « Censure ? Non, je ne peux pas croire cela d’elle… » Pourtant, tous les indices la désignent comme responsable : pourquoi utiliserait-on le charme de la beauté sinon pour mieux faire passer ce qui pourrait susciter une répression forte du pouvoir ? « Voyons, inspecteur, vous manquez d’imagination. Ma cousine n’a pas un tel pouvoir, et moi-même ai souvent emprunté le charme de la beauté à d’autres fins…» Eh bien, je crois que si vous développez ce dernier point, nous pourrons négocier la manière dont vous passerez les prochaines années… Aimez-vous les barreaux ?
Suspect n°3
La dénommée Persuasion, alias Tromperie, alias Séduction, etc. (…), est accusée d’utiliser le charme de Mlle Beauté à des fins personnelles, lesquelles fins ayant déjà impliqué une collaboration étroite avec l’ennemi public n°1, Censure, notamment par l’échange d’armes destinées à miner le sens des mots, causant ainsi des milliers de victimes de par le monde. Voilà les charges qui pèsent contre vous, Persuasion, vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous lors de votre passage en jugement… « J’aimerais tout de même dire quelques mots, inspecteur, avant que vous ne me passiez les menottes. » C’est votre droit. « Oui, je suis coupable d’avoir emprunté à Mlle Beauté son charme, et j’avoue même m’en être souvent paré, mais l’on peut difficilement appeler ce menu larcin un crime. » Ce sera à la Cour d’en décider. « Certes, certes, mais il faut avouer que votre accusation ne tient pas la route, d’autant plus que je pourrais très bien la retourner contre vous-même. Mais oui inspecteur ! Regardez seulement le début de cet article : que voyez-vous ? Un triple rythme ternaire, encadré par deux phrases courtes pour lancer puis pour clore le paragraphe. Prenez la première de ces phrases : elle ne contient que des mots d’une syllabe ! Parfait si l’on veut éveiller l’intérêt de quelqu’un, n’est-ce pas ? » Arrêtons-là, je vous prie, je vous rappelle que c’est vous, l’accusé. « Je n’ai pas fini ! Prenez la deuxième de ces phrases : vous n’avez pas l’impression qu’elle a un rythme bien marqué ? C’est peut-être grâce aux consonnes occlusives, qui rendent le son d’un tir de mitraillette… Je ne dis pas que vous faites de la poésie, inspecteur, et à dire vrai j’ai déjà vu bien mieux que cette lamentable tentative d’introduction, mais vous aussi, vous essayez de persuader ! Vous aussi, vous êtes coupable ! Vous aussi, vous trouvez qu’un texte a plus d’intérêt avec un brin d’invention ! » Attention, elle utilise sa force persuasive contre moi ! Qu’on la bâillonne ! « Non ! Je ne me laisserai pas faire ! Je me suis assez tue, j’ai assez entendu de critiques, de piques, d’attaques, et cette fois je ne serai pas votre bouc-émissaire ! » Y a pas à dire, chef, elle a un vrai pouvoir de persuasion, cette Persuasion… « Mmmmmhmmhmmmmh ! » Quoique, avec le bâillon, elle est un peu moins performante.
Le Procès
L’accusée est appelée à la barre : Mme Persuasion, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? Et qu’on lui enlève ce bâillon, huissiers, c’est ridicule !
« Je plaide coupable, monsieur le Juge. Coupable d’avoir aidé la Trahison, coupable d’avoir apporté mon soutien à la mésentente, coupable d’avoir justifié la censure et le despotisme, coupable d’avoir aveuglé par de grands mots toute l’Humanité, coupable d’avoir parfois poussé la Mort à travailler sur ses jours de repos, coupable aussi d’avoir assassiné plusieurs fois la Raison… Mais, mesdemoiselles et messieurs les jurés, si je suis coupable de tout cela, je le suis encore de bien d’autres choses. Je suis coupable de transformer l’eau en onde azure scintillant sous une voûte étoilée, je suis coupable de rendre le monde plus beau aux yeux de quelques uns, j’ai laissé ma trace dans toutes les chansons que vous écoutez, j’étais là quand Martin Luther King prononça son discours « I Have A Dream », je l’avoue, je suis coupable d’avoir entraîné l’Humanité dans bien des aventures, jusque sur la Lune, coupable enfin d’avoir bien des fois fait naître l’Amour dans des cœurs inconnus… On m’appelait alors Séduction. Depuis ma plus tendre enfance, je ne m’adresse qu’au cœur. Il me comprend, mais l’esprit parle une autre langue. Seule avec le cœur, je lui parle de tout et de rien, alors il m’écoute, et bien souvent il m’aime et me suit… Même quand je me trompe, même quand je le trompe, car l’esprit n’est plus là pour le conseiller. Voilà mon problème, l’esprit ne connaît pas assez souvent ma langue, et s’il s’intéressait un peu plus à moi, je suis certaine que je ne ferais pas autant de ravages… C’est tout ce que j’ai à dire. »
Mesdemoiselles et messieurs les jurés, je vous laisse délibérer…
Lahire

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